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revvrend emmanuel ntakarutimamaRévérend Emmanuel Ntakarutimama, Burundi

Révérend Emmanuel Ntakarutimana

Burundi.
Prêtre catholique de l'Ordre des Frères Prêcheurs Conseiller dominicain pour l'Afrique à Rome.

Merci beaucoup. Merci aussi à la famille Campion pour l'intuition juste et merci à leurs amis. C'est bien d'avoir pensé à l'Afrique sub-saharienne qui souvent est oubliée dans les rassemblements internationaux.

L'Afrique est vaste et je serais incapable de parler de toute l'Afrique, même si je la visite souvent dans plusieurs de ses pays. Il y a un dénominateur commun à l'Afrique qui est perceptible. Actuellement, comme vous peut-être, je sens une Afrique qui traverse une période de mutation historique, profonde, qui malheureusement s'accompagne de souffrances intolérables face à des calculs froids et souvent même cyniques de quelques grandes puissances qui ont pris l'habitude de s'appeler Communauté internationale. Enraciné dans une société dont la base servant d'ancrage essentiel à l'esprit et la vision du monde comme harmonie, même si en Afrique les conflits et les guerres ne manquaient pas, plusieurs des sociétés africaines se sont retrouvées devant une civilisation qui avait fait d’autres choix existentiels, ceux de la réalité comme conflit et de la vie comme maîtrise des lois fondamentales des choses, ceux de la connaissance claire comme valeur capitale et de la soumission du monde à l'esprit créateur propre à l'humain et à son être et ce de l'utopie comme champ du possible et exigence concrète de transformation, de tout selon la volonté des êtres humains. Et, c'est une civilisation où la place de l'homme peut faire la compétition très facile avec celle de Dieu. Le surgissement de l'Occident dans les milieux africains par le mouvement de la traite esclavagiste, de la colonisation et de l'évangélisation a investi de façon fort complexe l'imaginaire des africains. Et leur destin est désormais lié à cette histoire et au commerce mondial actuel. L’oubli apparent de l'Afrique sur l'échiquier international cache mal la ruée vers ses métaux, son pétrole, et l'Afrique est devenue un marché très intéressant pour les armes. Et tout cela travaille inévitablement à une déstructuration de nos sociétés, pour qu'elle corresponde au modèle pouvant servir les intérêts de l’international, du capitalisme et même les grands médias sont mobilisés pour cela. Je ne vous apprends rien de nouveau : les drames du Rwanda, du Burundi, du Congo Kinshasa, du Congo Brazza, de la Somalie, du Liberia, de l'Angola, du Sierra Leone, du Soudan et d'autres pays s'expliquent certes par des fragilités internes à ces sociétés mais aussi par l’appétit des puissants de ce monde qui, malheureusement, sont inspirés par les trois grandes religions monothéistes et aussi par un mariage difficile à réussir entre deux héritages épistémologiques, celui traditionnel à l'Afrique qui consiste à établir des liens avec son environnement visible et invisible et celui, beaucoup plus récent, qui est fondé sur l'affrontement avec la réalité, sous mode de maîtrise et de domination.

Je suis prêtre catholique, appartenant à un ordre religieux international vieux de 9 siècles. L'auguste assemblée ici présente s'attendrait probablement à ce que je parte de là ou que je m’inspire des visions de l'Église catholique romaine vue d’Afrique, surtout que les évêques du continent africain se sont retrouvés en 1994 à Rome pour une large consultation sur les questions majeures qui agitent le continent, notamment des problèmes massifs de justice sociale, de paix, de solidarité entre les peuples. Des choses intéressantes ont été dites à cette occasion et aussi, je pense que vous savez que plusieurs pays africains ont demandé aux évêques de présider les conférences politiques nationales qui tenaient à définir le nouveau cadre socio- politique après les bouleversements mondiaux de ces dernières années. Je le sais, les églises d'Afrique ont du reste été parmi les grandes promotrices des mouvements de démocratisation à partir de leur vision chrétienne de l’homme et de la société. Mais aujourd'hui, j'ai décidé de ne pas partir de ces expériences.

Je choisis de partir d'un autre angle. Un des problèmes majeurs pour l'Afrique reste de retrouver son âme culturelle tout en s'insérant dans la société mondiale. C'est donc dans ce sens que je voudrais, en chrétien catholique, relire la vision anthropologique qui avait informé les fils et les filles de mon peuple pendant des siècles, vision qui reste dans mon subconscient et qui me fait percevoir un malaise quand je dois m'insérer dans le commerce mondial. On vous l'a déjà dit, je suis du Burundi, pays de l'Afrique des grands lacs, une Afrique des grands lacs qui est devenue un symbole d'un éclatement sociopolitique nourri par une déstructuration sociale totale et un cynisme mondial habillé, emballé, humanitaire ; et le Burundi comme le Rwanda et la République démocratique du Congo sont des pays très chrétiens. Et ce christianisme pose des questions : a-t-il été un facteur de solidarité ou de justice ?

(...) constituait une intégration progressive qui était d'une importance capitale. Or aujourd'hui, nous sommes dans une évolution (...) de nourriture, de boissons, de voisinage et durant toute cette période de grossesse, une sage femme entoure la femme enceinte et va l’accompagner de conseils avec une thérapie appropriée tant au physiologique qu'au psychologique. La naissance de l'enfant est une période de délivrance et de libération de la force vitale qui donne lieu à des réjouissances familiales et sociales. Et à partir de ce moment, tout un rituel sera suivi pour marquer la période de réclusion postnatale de la mère, la cicatrisation de l’ombilic de l'enfant qui elle-même est sanctionnée par un rituel de relevailles et de purification qui permet à la mère de reprendre des travaux ordinaires. C’est à cette occasion que la mère, la grand-mère, la tante ou le père coupe les cheveux avec lesquels l'enfant est venu au monde et cela peut même correspondre à un rite qui consiste à promener l'enfant dans le village avec des danses et des chants. La cérémonie de dation du nom par les autres enfants du village et par la famille nucléaire est aussi une occasion de rassemblement pour le clan et les voisins et les noms, nous le savons, sont toujours chargés de signification et résument le contexte socio-historique de la naissance de l'enfant. Et c'est ce qui fait par exemple que la tradition des noms de famille que l’on a voulu importer au Burundi avec la colonisation et la première évangélisation n'a pas trouvé d'enracinement. Moi, par exemple, je n'ai pas de nom de famille. Chacun doit avoir son nom car il est la concentration d'une histoire à déchiffrer. Et il y a même des noms de prédestination comme pour les jumeaux et ceux qui viennent après, les noms devenaient même des lieux pour ruser avec le destin, surtout ceux dans les familles où il y avait eu beaucoup de décès. Les noms malsonnants comme les noms "spectre" étaient supposés éloigner la mort face à un être qui ne vaut rien et les noms de bravoure par contre devait conduire l'enfant à récapituler toute la bravoure de ses ancêtres. La poussée de la première dent chez l'enfant manifeste que l'enfant évolue vers l'indépendance alimentaire par rapport au lait maternel, permettant aux parents d'envisager la possibilité d’une nouvelle conception. C'est la période de sevrage, et l'enfant qui jusque là avait évolué dans le monde indifférencié du sein maternel et de la relation réduite à sa mère doit affronter un univers ouvert à la famille élargie et aux voisins de collines et de villages. La chute de la première dent de lait montre que l'enfant peut désormais se mettre au même régime alimentaire que les adultes et tout cela est vécu avec des rituels symboliques qui intègrent l'enfant comme la famille dans la force vitale qui n'appartient à aucun individu mais est le propre de Dieu en train de se communiquer.

Et en fait, ce que je suis en train de dire, c'est que la dimension religieuse dans notre tradition vécue sous mode symbolique ne rejoint pas nécessairement des entreprises religieuses qui sont importées dans nos cultures et qui nous fragilisent. Et alors, les facteurs de paix pour nous autres deviennent assez difficiles parce que nous sommes obligés de passer par les fragilités qui marquent les autres communautés humaines à travers le monde mais nous devons en même temps revenir à nos propres enracinements culturels pour y rejoindre les harmonies culturelles qui ont fait notre vision anthropologique de l'homme et de la femme. Et aussi longtemps que cette vision anthropologique n'est pas revue et redéfinie, il nous est très difficile d'imaginer une dynamique de paix et de justice sociale.
Merci.

Annelie Lohr-Campion-pt   Rencontres au Service de la Paix, Bruxelles, le 13.09.1997

Organisation :

Ouvertures a.s.b.l.,
Annelie Löhr-Campion, Belgique
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